Les chroniques de Térard!



Vingt troisième parution
Les chroniques de Térard.
No: 23, le Havre, 7 Juin 2014
Réalisation: E.A et C.L.M



Dans ce numéro: Editorial (E.A), Dessin et photo (C.L.M), 
            Chroniques des matins racontés par: ©Alain Térard
 (Des corps et des vies, Les taches coloriées)


© Dessin et Photo: C.L.M

Editorial !

Quand nous nous mettons à porter attention un peu plus à ceux et celles qui nous entourent, nous devenons des riches héritiers de la vie. Nous devenons des chroniqueurs poètes…Justement, en parlant de chroniqueur, nous en connaissons un dont un cancrelat des îles a secoué vaillamment le sommeil, dernièrement.

Il connait un coq…Vous connaîtrez, un peu plus tard, son nom  et ses traits de caractère, après la lecture de ses chroniques que nous publions aujourd’hui. Son père, sa mère, son frère et les voisins et pourquoi pas tous les autres font partie d’une grande source aux yeux de Térard…

Ses écrits sont comme le plaisir d’un lecteur ou d’une lectrice qui découvre qu’il/qu'elle peut se permettre de ressentir un « kofèmal » (courbatures, douleurs au corps, que savons-nous) avec délice.


Aujourd’hui, nous avons ce plaisir fou de partager  avec vous les chroniques des matins racontés par Alain Térard. 

Ruedesrumeurs.
***


Alain Térard dans: 


Chronique des matins racontés : des corps et des vies, les taches coloriées


Quel est la différence entre un dimanche-matin et un matin de dimanche?

C'est drôle. Je ne devais pas me réveiller. Hier au soir, j'ai eu plusieurs de ces comportements suicidaires. Mon organisme commence à imiter les organismes qui m'entourent. On dirait par contagion. Celui de ma mère, de mon père, de mon petit frère, de la fillette de mon voisin du nord.

D'abord, il y a Madanm. Elle souffre d'un mal inévitable et endémique chez le paysan haïtien: le "Kòfèmal". Et pourtant, elle est allergique au repos. Une fois couchée, ma mère cumule les ennuis. Elle dit toujours qu’avoir mal est un droit dont elle n'a pas encore reçu.

Mon père, un défi au genre humain. Une histoire qui commence avec la mort d'une belle-mère. C'était ses quinze ans. Depuis, il s'en prend aux cigarettes. Sa rage de fumer est telle, on dirait qu'il s'est dit pouvoir éliminer ce produit. Jusqu’à la dernière graine.
Mon petit frère. L'homme ! Le record de son organisme est unique. Il arrive à dissimuler une jambe cassée pendant cinq jours, pour échapper aux corrections de père et de Madanm. Il a su garder ses rôles sans le moindre petit toussotement. Marcher, baigner, l'école, jouer, rire. Tout ce qui doit le garder loin des regards parentaux. Les médecins disent qu’il a frôlé le pire.

La fillette d'à côté. C’est la huitième merveille. Un chef-d'œuvre. Elle a, un jour, choisi d'avaler une pièce de monnaie plutôt que de la livrer à sa sœur. Un "adoquin" dans l'estomac d'une petite fille de cinq ans. Toute la ville fut alertée. On l’a remorqué d'urgence à Port-au-Prince. Aucun médecin, à Saint-marc, n’a voulu prendre la chance de l’opérer.
Des organismes de grandes marques. Qualité supérieure.

Ce matin, c’est Missitha qui me retire du sommeil. Missitha est un coq pour la maison. Pour le quartier. Celui qui chante après la rosée. Une dernière occasion. Elle. Un vrai moulin à parole. Un moulin électrique à parole. Cela fait des lustres qu’elle ravitaille ma mère en informations. Toutes sortes. Rumeurs, secrets dévoilés, infos de la radio, confidences d’autres voisins, celles qui lui sont apportées par le vent. Aucun battement de bouche n’échappe à Missitha.

Elle tient un menu bourré d’insolites ce matin: Un bilan d’après pluie qui laisse trois morts sur le compte de la mairie. Elle commente. Ces morts étaient des têtus. Aucun sensé n'aurait habité le bord de la rivière. Elle renchérit avec la nouvelle fièvre à la mode dans le pays. Selon des sources confidentielles, cette épidémie n’est pas simple. Une façon de dire qu’elle n’est pas naturelle. Tout comme le choléra, le séisme, le déménagement des Victor de la zone. Elle dresse une liste exhaustive des enfants qui doivent faire leur première communion aujourd’hui. Les prénoms des enfants, leurs parents, leur adresse dans le quartier, les activités prévues pour chaque communion. Ouf ! Quelle créature.

Les dimanche-matins sont ordinaires, les matins de dimanche pèsent exceptionnellement lourds. Je dois me préparer au lourd, à l'exceptionnel. C'est un matin de dimanche.

Note: "Kofèmal": Courbatures, douleurs au corps.
           "Adoquin": Une pièce de monnaie 


 ***


Chronique des matins racontés : les taches coloriées


C'est bizarre. Aujourd'hui, un cafard me tire violemment du sommeil. Je dormais tranquillement quand soudain la bête me donne la sensation de tatouer une sorte de gribouillage le long de mon cou. Sursauté, je me lance à sa recherche. Dommage. Il connaît bien les moindres interstices de la maison.

Ici nous ne faisons qu'un avec les cafards, les rats, les mouches, les maringouins, les bigailles... Je lance un pari. Une maison qui ne cohabite pas avec un de ces calamités, qu'elle lève son petit pouce. 

Certains rats sont connus de tout un pâté de maison. Tout le monde peut les décrire dans les détails près. On les poursuit éternellement. Ils sont partout. Dans les salons, les chambres à coucher, les meubles, la vaisselle. Ils règnent dans la cuisine et les toilettes.
On dit qu'ils nous rendent malades. Personne ne sait si on ne les rend pas malades aussi. 

Je déteste ces façons de réveiller. On dirait que je laisse les trois quarts de moi sur le lit. Et, seul le quart restant part affronter le jour.

En début de sa rituelle prière matinale, Madanm fredonne toujours quelques morceaux. Contrairement à mon père qui les siffle. Le fredonnement, est, à coup sur, une invention haïtienne. Tellement les plaintes sont pitoyables, prononcées. Cette manie me laisse croire que les petits lots de problèmes de Madanm restent toujours inchangés.

Toc! Toc! Une jeune fille, dans les vingt-trois ans tout au plus, s'est pointée ce matin sous la galerie. Dans sa main, une grande cuvette emballée dans un drap blanc. Bonjour! Qu'y a-t-il?
"Bon! Le voisinage, c'est la famille. Je dois emmener mon garçon à l'hôpital ce matin. Je n'ai pas d'argent. Je suis venue vous passer ceci."
Elle a choisi de vendre à Madanm une cuvette d'occasion, en bon état tout de même, au lieu de la mettre en gage vue les taux usuraires de remboursement.
"Cela fait six semaines et deux jours depuis que le père de l'enfant est parti. Pas pour le Brésil. Mais pour une autre demeure. Pour une autre concubine. L'homme avait prédit que le jour où il ne sera plus avec la maman, il ne sera non plus avec l'enfant. Chose dite, chose faite. Il n'est pas venu. Il n'a rien envoyé. C'est peut-être encore étonnant. Mais ça existe encore.

Je dois prendre la rue. Prendre la rue, c'est se mettre dans l'aventure du jour avec incertitude. Incertain de ramener le pain. Incertain de renouveler ce contrat tacite avec le quotidien pour voir demain.

Alain Térard




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