MADAME, ON NE VOUS AIME PAS.
Autour des écrits de MAX JUNIOR RAYMOND
DESSIN ET PHOTO: C.L.M |
Madame, on ne vous aime pas !
VINGT ET UNIÈME PARUTION
NO: 21, LE HAVRE 20 FÉVRIER 2013.
RÉALISATION: C.L.M & E.A
DANS CE NUMÉRO:
MADAME, AVE LUCIFER (OCTOBRE 2009), EXPANSION DU DOMAINE RÊVE, SYLPHISE.
Autour des écrits de MAX
JUNIOR RAYMOND,
écrivain poète haïtien.
« Putain de poète »…
J’ai
retrouvé le poète !
(…)
« (je plains ce christ
de ne t’avoir pas connue)
à mon retour
je serai là à ta porte
moi poète des climats en
ruine
espérant ce désir tien
de ta chair heureuse où le monde est plus
vrai
nous serons deux ou
peut-être plus
à brûler nos corps à
d’autres corps
à évaluer le risque d’aimer
autrement
dans ce bas-monde sans trop
de couleur »,
(…), (AVE Lucifer, M.J.R, octobre 2009).
Nous sommes tombés sur ces mots par le fruit d’un hasard
contrôlé : La vie, l’amitié, et nos parcours croisés ; nous étions
avisés de l’arrivée de ces derniers, je parle des mots et de leur souffleur, M.J.R à la Rue Des Rumeurs. Mais comment
contrôler à distance les bonheurs qui risquent de nous arriver un jour ? Et puis voilà :
après la première phrase nous étions déjà pris dans l’élan de ce souffle porté
dans l’emport du sens profond des
mots comme un soleil qu’on attendait. Il y a un soleil à L’Horizon.
Un souffle sans sommeil, éveillé, un plaisir que l’on vit
en créant l’histoire mère, monter un décor déjà planté mais mobile ; ou
encore d’un monde qu’on crée, après l’avoir
vécu ou qui nous a marqué sur le coup d’une inspiration ou d’une réalité. Muse
sans frontière qui apporte la vie à la mer des pêcheurs, Max ! S’appelle t-il quand le poète sillonne le rêve dans les
prunelles de ses yeux.
En te lisant, on risque de tomber sur une chanson qui rappelle une bande de Rara en échauffement - Que disons-nous,
pas besoin - un sacrifice, une liaison saisissante engendrant les mots dans un
perpétuel sens du « gouyadiz » ; ça roule, ça tourne, ça gronde tel un heureux orage à l’aube qui nous garde au chaud. Puis, cette
transe musicale totale capitale quand les signes claironnent dans nos curieuses
de têtes ; je crois qu’il se nomme Junior
à ce moment là.
PHOTO DE: M.J.R |
Raymond, on t’a déjà dit que tu ressemblais trait pour trait à ce poète
de la rue ; un veilleur parmi nos veilleurs ? Dis moi, Sylphise
doit être une déesse pour brûler ton souffle aussi intensément ; transpirer
ou transparaître dans cette gueule solide que tu traines avec toi d’elle.
Extrait-1-
Madame
Fou ce vent madame qui chante souverain
à l`embouchure de nos eaux douces
à forte odeur de poils
- ne serait-ce qu`odeur de pores -
je me sublime génial briseur de fleuve
insolent des fonds marins
mais
je ne vous aime pas
je ne vous aime pas madame
je ne vous aime pas
je me ferai le maldoror de vos beaux champs
christ baiseur des grands lacs
calvaire des sept boudoirs
-de guédé batraville erzulie lampheuil
enfanta des étoiles (on ne badine pas avec le cul)
je vous dirai tout ça –
je me ferai petit
douleur con oiseau
baudelairien pyramide
marquis du trou de nippes
chanvre luciole pupitre
écume chute tout
pour votre corps de haute chanson
fou ce vent madame qui serein nous enchante
à l`embouchure de nos eaux en crue
à forte odeur de soufre
où je vous consacre voute mystérieuse
grotte de mon Artibonite
petite pluie des savanes
sainte-maitresse-des-partouzes
et moi fugitif des rêves d`argile
je ne vous aime pas
je ne vous aime pas madame
je ne vous aime pas
d`avoir trop aimé ce monde
avec ses vieux trop vieux
ses gosses si gosses pour n`être vrais
Péralte est mort à Chicago
(de la petite vérole dit-on)
le ciel est jaune
quand l`arbre meurt
ici les matins grandissent mal
parce que lobo est mort
d`avoir trop vécu le rire
de l`enfant bègue
voyez-vous madame
je ne vous aime pas
on ne devrait pas s`aimer
lobo est mort madame
on ne devrait pas
fou ce vent du mal d`amour
qui silencieux nous unit
je ne vous aime pas madame
je ne vous aime pas
n`était-ce pas tabou
ce sourire dans le
labyrinthe des méduses
***
PHOTO DE: M.J.R |
Extrait-2-
« La
décision chrétienne de
trouver
le
monde laid et mauvais
a
rendu le monde laid et mauvais »
Nietzsche, le gai savoir.
AVE
LUCIFER
Il a
fallu
ce
sourire malicieux
pour
dire l’urgence de ta présence
au
centre de mon corps
il a
fallu ton empreinte
ton
regard lumineux
tes
cheveux
ton
vice et ton côté solaire
et
possible serait encore le monde
possible
une main tendue après une chute
possible
une papillon-la-saint-jean en décembre
possible
le visage familier du voyou
qui se
prenait pour un duc
possible
ce voyage promis tant désiré
possible
le corps ému de la putain
que
j’aime tant
sur le
ventre heureux
de cet
enfant mort l’été dernier
possible
aussi cet amour chaste
entre
frère et sœur
sans
l’œil vertical et pénétrant
de ce
prêtre -devenu ridicule-
à la
vue du cul d’un enfant de chœur
il a
fallu tout ça
ton
sourire
tes
mains
tes
poils pubiens
tes
seins ton côté gauche
et ton
prénom : Sylphise !
Sylphise
de mes désirs
il a
fallu tout ce décor brut mais humain
tout
ce geste plein de promesse
d’alcôve
et d’île imaginaire
toute
cette panoplie de bonnes choses
susceptible
de dire le chant fugace
des
corps amoureux au sanctuaire du vide
qui
viendra tuer le désir
la
nouvelle sera bonne te dis-je mon amour
si
nous tiendrons Dieu
pour
une ruse pathétique minable et trop plein
alors
les anges seront déchus
et
Lucifer immense
la
nouvelle sera bonne mon amour
à
l’instant où la jouissance de vivre
tuera
toute idée de psaumes et de prières
O! Mon miracle je te le dis
tout
mon corps se masturbe en ton nom sonore
comme
les bruissements des citronnelles
sous
les pas fragiles du fruit de tes entrailles
que ma
semence vienne au secours de ta voix
et à
la gloire de ton doux royaume
au
commencement
il y
avait ton visage
ta
présence
tes
vulves mes doigts
tes
yeux graves ta plainte
et ta
bouche à la genèse de mon pénis
me
disant : « ce matin mon amour
J’ai
baisé avec un mec. Et c’était bien. »
au
commencement
il y
avait toi
et les
autres qui comptaient peu
O !
Sylphise de mes blessures
aie
pitié de mon corps
trop
généreux pour être sain
aie
pitié de moi mon amour
je ne
sais trop
si la
terre est ronde ou ovale
si
pluton est une planète ou pas
si
l’amour est douloureux quand on a seize ans
si les
nonnes ont des hormones
si le
soleil est brûlant à deux heures
si
l’Artibonite est vraiment un fleuve
si le
canal du vent est le paradis post mortem des requins
si
Préval lui- même sait nager comme il le conseille à son peuple
si des
gosses bouffent de la mangue bouillie au Far West du pays
si
l’on peut mourir dignement à l’Hôpital Général
ou si
Port-au-Prince est obèse
je ne
sais pas
je ne
connais pas le mystère du triangle des Bermudes
ni la
théorie marxiste du progrès social
et
encore moins les prouesses d’Aristide et compagnie
pour
moi mon amour
Dessalines
n’est que Dessalines
Soulouque
un con qui croyait en ses conneries
Duvalier
un malade qui se croyait Guédé :
« il a
dû regarder trop de films le pauvre ! »
la
misère c’est le visage de cet ado frêle
regardant
la Mercédès du Ministre de la Culture
en
panne d’essence aux environs de la Saline
ma
Patrie : un mythe pour Romantiques
et le
type sur la croix s’il est mort
est
mort pour rien parce que je le suis indifférent
que
sais-je mon amour
l’histoire
est si dense et moi trop petit
trop
petit pour saisir l’extase de Saint-Marc
et les
baisages à chaque coin de rue à l’annonce de la mort de Somoza
veux-tu
écarte-toi
de mes fissures biographiques
le
monde est absurde et mon histoire trop vague
pour
l’essentiel :
« Papa a
vendu pour une étincelle de Marie-Jeanne mon vélo de première communion. Mon
premier cadeau (entre le crack, la coke, l’herbe et ses trois gosses ; il te
dira : l’herbe, la coke et le crack. Chacun son truc chacun sa vie) J’ai
pleuré, beaucoup. Tout un rêve de conquête brisé. Il y a des trucs à ne pas
faire à un gosse de neuf ans, je n’ai jamais pu le pardonner à mon père, je ne
peux pas. Et depuis j’ai une haine pour tout ce qui me rappelle mon père :
Dieu, le Roi, le Dictateur, le Militaire, le Patron, le Viril, le Chef de
tribu, le Cardinal, le Prédicateur, le Houngan, le Prêtre mystificateur donneur
de leçons, le Prof qui vous emmerde malgré la faim, l’Etat, la Vérité, la
Morale, l’Armée, la Patrie et autres idoles majuscules. J’ai vécu mal l’Œdipe !
A quinze ans j’ai tenté le suicide à dix-sept la folie.
Ma sœur Anne-Rosemie n’a jamais voulu accepter le fait évident que j’ai
grandi, j’étais encore ce môme à ses yeux et n’a pas su dire la vérité des
choses du moins mon point de vue des faits, des circonstances : c’est pour ton
bien petit frère. C’est pour ton bien ! De l’amour, de l’amour me dit-on : sans
blague ! Cela va de soi, elle avait une drôle de façon d’aimer autrui, genre
sado-maso tu vois. Son égo est trop lourd ça m’empêchait de dormir tranquille.
On s’aimait. On se détestait. On se pardonnait. On se haïssait à nouveau.
C’était comme ça, on ne pouvait s’empêcher cette violence maladive contre
nous-mêmes. Aujourd’hui on ne se parle plus et c’est peut-être mieux.
Sheilla désirait et désire encore mon corps nu et Denise mes yeux.»
Je ne
sais rien mon amour
ma
seule connaissance, c’est toi :
Sylphise
de mes offrandes
aie
pitié de mon amour pour toi
aie
pitié si mon poème loue Lucifer
de
t’avoir créée corps plein de grâce
ma
libido est avec toi
femme
entre toutes les femmes
je
ferai de toi
le
sujet de ce bonheur possible
je
raconterai de toi
des
choses plaisantes à la fille au regard pervers
je
chanterai l’immensité de ta beauté
aux
hommes et aux femmes à qui le corps manque
la
nouvelle sera bonne te dis-je mon amour
partout
où je dirai ma passion : toi
(je
plains ce christ de ne t’avoir pas connue)
à mon
retour
je
serai là à ta porte
moi
poète des climats en ruine
espérant
ce désir tien
de ta chair heureuse où le monde est plus
vrai
nous
serons deux ou peut-être plus
à
brûler nos corps à d’autres corps
à
évaluer le risque d’aimer autrement
dans
ce bas-monde sans trop de couleur
Ave
Lucifer mon amour
notre
évangile sera de vin de pain de crémasse et de bonbon-couleuvre
je te
le conjure
Sylphise
de mes enfers
Libellule
Monplaisir m’a violemment conquis avec son sexe lesbien
et
Mimerose m’a tatoué de ses ongles sur une plage à Jacmel
nous
serons deux, trois, quatre
ou
peut-être plusieurs à la renaissance de Sodome
et à
la mort de Dieu
prenez
garde mes amours
prenez
garde mes amis aux promesses de l’Homme-de-bien
dépositaire
du silence et de l’encens
prenez
garde vous dis-je
le
côté droit du monde est un chant de sirène
son
côté gauche un interdit
prenez
garde
ce qui
reste :
c’est
ce regard impuissant des gens têtus
c’est
cette force de se regarder et de se mettre à nu
c’est
cette force de dire Moi malgré les peurs malgré tout
cette
force de dire la bonté du coït et le choix d’être humain.
Octobre 2009, Max
Junior Raymond
***
PHOTO DE: M.J.R |
***
Expansion du domaine du rêve
Vous
dîtes
Dieu
Big-bang des origines
l’infinie
complexité des molécules et des atomes
puis
Taliban Capital
et moi
je vous dis
jeune
fille nue lisant Artaud
dans
l’enceinte désespérément humaine de la Mecque
je vous
dis
enfant
gâté des saisons fraîches
rêveur
sur les ruines du Pentagone
intello
soixante-huitard collé à son cigare
qui,
pathétique, songe à l’humanité plein de promesse
de ce
jeune punk rencontré samedi
soir au bar du coin
puis
le monde figé
en cristaux
de sourire
et de
pollen
il
n’en reste qu’à maintenir ce rêve.
Max
Junior Raymond
Sylphise
La
nuit était belle à chaque fois
À
chaque fois son odeur habitait
le
vacarme de mon corps heureux
vaincu
par la tendresse
de son
regard de nuit belle
La
nuit se faisait belle pour elle à
chaque fois
J'ai
connu ce refrain toujours bête de mon corps perturbant le calme de l'herbe
mouillé sous le creux de son pubis invitant au bonheur de se faire corps à la nuit belle
Corps
nus, grain de beauté et de sueur à
la naissance des vertèbres, ses hanches en désordre, goutte de rosée, vent trop
lourd et sperme: portrait d'une transcendance finie!
La
nuit était belle pour elle
Comment
dire le risque d'être belle nuit en présence d'elle
Elle
qui se devinait Sylphise et fleur
Comment
pourrait-on se vanter
glace
fraise et sucrerie
vanille parfum et rose
lingerie
dentelle et soie
feu
follet papier et cendres
empreinte
sable et fruit de mer
papillons
attouchements et désir
musique
soupir vin et orgasmes
Comment?
si elle en veut à elle
elle
qui se sentait caprice et Sylphise
On l'a
voulu unique cette clameur prudente
au
bout de ses mains
au
bout de ses reins
au
bout de ses seins
Je
n'ai pas pu inventer son visage ses gestes maladroits
ses
rêves de billes et d'ardoises
ses
pores en ébullition
ses
jouissances
son
péché capital
et ses
peurs du temps sombre
ni
deviner le parcours ultime
de son
humeur à l'approche du soir:
J'aime pas la nuit. C'est
tout.
PHOTO DE: M.J.R |
MAX Junior Raymond, tout comme toi je « plains ce christ de ne pas t’avoir
connu (e) » ; le poète tient une muse en Sylphise qui raisonne dans la compréhension du
temps. Ce regard à Lucifer est une manière de questionner ce qu’il se dit être
et un clin d’œil, au passage, pour rappeler qu’il n’aimait pas Madame.
Madame, on ne vous aime
pas !
***
Ruedesrumeurs/FÉVRIER 2013
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